La légende de Buffalo Bill [pv Chris]

Il fait pas particulièrement soleil, mais il fait une chaleur insupportable. Probablement l’humidité provoqué par la pluie de cette nuit. À l’école c’était pas si mal. Il y avait des tas d’arbres, et à l’intérieur des dortoirs, il y a la clim. Pourquoi j’ai voulu sortir déjà ? Ah ouais … m’éloigner d’Ahmon, me sortir toute cette histoire de la tête, boire un coup avec une fille sympa. Fille sympa qui a l’air autant, sinon plus encore, épuisée que moi. Cette histoire me tue et je sais ce qu’elle représente. Elle, par contre, elle s’est retrouvée coincée dans un truc qu’elle ne comprend pas du tout. Je la plains. Je me suis arrêté dans une épicerie et j’ai acheté un pack de 12. Ce sera suffisant. Je suis d’humeur à boire, et je ne suis pas particulièrement dur à envoyer de l’autre côté de la ligne alors bon. Elle, je sais pas. En tout cas elle n’a rien dit quand je suis ressorti. Pas de « c’est pas assez » ni de « c’est trop ». Si on a vraiment envie de passer la nuit dehors, ben on ira en racheter. Tout simplement.

J’ai envie d’aller sur la plage. Même s’il fait une chaleur à crever, il y a une petite crique un peu isolée où personne ne va jamais, soit disant parce que les rochers sont trop glissants, trop mal placés pour qu’on puisse s’y rendre. C’est dangereux, casse-cou et stupide de vouloir y aller. Pas pour moi. Pas pour Chris si elle est avec moi. Je ne lui demande pas son avis, mais j’ai l’impression qu’elle non plus, elle n’a pas particulièrement envie de voir du monde. Au moment de monter et redescendre le passage qui mène à mon petit repère, j’ai la caisse de bière dans une main et la main de Chris dans l’autre. C’est quand même un peu dangereux comme chemin et je voudrais pas qu’elle se casse la gueule. En plus les pierres sont glissantes. Une fois de l’autre côté, je réalise que j’ai pas ramassé mes cochonneries la dernière fois que je suis venu. Il y a encore quelques cadavres de bouteilles. Dans la petite marre formée par la pluie de la veille, je vois un truc qui dépasse. C’est la chaussure que je croyais avoir perdu. Remarquez que je ne m’en suis pas vraiment scandalisé puisque je ne porte pour ainsi dire jamais rien dans mes pieds. Je fais le tour de la place. C’est pas très grand, on peut voir la mer si on escalade un peu les rochers mais c’est pas pour me baigner que je viens ici habituellement. Plutôt pour boire, pour être seul, et ça se résume pas mal à ça. Il y a la petite marre où on peut se mettre les pieds pour se rafraîchir, et à cause de l’humidité et de la pierre, c’est assez frais comme endroit. Je ne pourrais pas me plaindre de la chaleur. Je finis par aller m’asseoir sur une grosse pierre plus ou moins ronde, je dépose la caisse à mes pieds, me penche pour l’ouvrir et en sortir deux bouteilles. Chris est toujours silencieuse, debout. Elle observe le décor. Je me demande si je dois la sortir de sa réflexion. Je me demande à quoi elle pense. Mais je ne vais pas lui demander. Ce serait indiscret, ça ne me regarde pas du tout. Je décapsule les deux bouteilles avec mes dents puis je lui en tends une. Elle semble soudain me voir, s’avance. Je retire la bouteille.

-Avant qu’on boive, faut que je t’explique un truc capital. T’es droitière ou gauchère ?

Je lui adresse un large sourire. Quand on boit avec moi, on peut pas boire n’importe comment. Il y a des règles essentielles à respecter.

Je me cale bien confortablement sur mon rocher, gardant sa bière et la mienne dans mes mains. Pas question que je lui donne sa bière sans qu’elle connaisse les règles de la beuverie signée Rusty. Quoi qu’en fait, cette règle vient d’un pote à moi que j’ai connu il y a quelques années de ça, quand j’ai découvert l’alcool, en fait. Je prends un air grave et je plante mon regard juste au dessus de sa tête dans le lointain.

-Buffalo Bill était en fait un cowboy redoutable, le plus rapide. Il a gagné un paquet de duels. Selon certain, Buffalo Bill, comme beaucoup d'autres, était un amateur de bonne bière et une certaine journée, alors qu'il était arrêté dans son saloon préféré, un de ces redoutables ennemis entra et dit : ''Buffalo, ça se termine aujourd'hui'' en lui tirant une balle dans le cœur. Pourquoi Buffalo est-il mort s'il était le plus rapide? Il tenait son verre de la même droite, c'est-à-dire de la main qui lui servait à tirer.

Je me rappelle de la première fois que j’ai entendu cette histoire. J’ai d’abord bougonné en disant que ça voulait dire que dalle. Probablement que Chris dira la même chose que moi. Enfin bon.

-Quand on boit avec moi, faut entrer dans le clan Buffalo. Une fois qu’on y entre, on n’en ressort plus. Les règles sont simples. Tu ne dois jamais tenir ta bière de ta main dominante. Si tu le fais, que je le remarque et que je te crie « Buffalo », tu dois tout boire d’un trait. Pareil pour moi. Je suis gaucher, d’ailleurs.

LA première fois que j’avais joué, j’avais pris la pire brosse de ma vie. J’oubliais constamment que je devais boire de la main droite et du coup, je me suis retrouvé saoul comme un balai en moins de deux. J’ai été malade comme un chien le lendemain. L’expression est d’ailleurs très bien choisie. Bon … ça aura peut-être l’air d’une tentative stupide d’essayer de saouler Chris, mais c’est pas mon intention. Juste de boire. D’avoir du fun. De se détendre. D’oublier ce connard d’Ahmon qui doit s’être réveillé, à l’heure qu’il est. Il doit se taper un mal de crâne terrible, si c’est le cas. Je souris.

-Alors ? Tu entres dans le clan ou je bois tout seul ?

Ce qui serait vachement moins amusant, ça c’est clair. Boire seul, ça fait dépressif. La dépression, c’est une maladie d’humains.