Bataille incessante contre une mèche de cheveux ennuyante…(Rusty)

Miracle parmi les miracles ! Je ne suis pas collé ce soir. Abi m’aurais probablement arraché la tête si ça avait été le cas. On a un petit spectacle dans une salle pas trop loin de l’école, et si j’avais du manquer la dernière répétition … Je n’aurais pas pu bouger les bras pendant un bon petit bout de temps. Elle m’assommerait avec ma guitare, m’enfoncerait les baguettes d’Amos dans le nez, m’étranglerait avec les cordes de Marcus et me ferait avaler les touches du clavier d’Adam. Je m’étais tenu tranquille toute la journée. J’avais rongé mon rein, comme on dit souvent. Maintenant par contre, si j’arrive en retard sans raison, ce sera encore pire. J’ai une heure pour prendre ma douche, manger un morceau et m’habiller. Je baille, m’arrête devant la porte et cherche ma clé. Comme d’habitude, je ne la trouve pas. De toute façon elle est inutile : j’ai cassé la poignée en partant ce matin. Je souris en revoyant la tronche de Morowë quand il a entendu le craquement. Il m’a gentiment reproché mon manque de délicatesse. Non mais hey ! La poignée refusait de tourner, je l’ai juste forcée un peu. J’ai pas tué le pape, quand même ! La porte ne se verrouille plus, c’est pas dramatique. En plus, maintenant, Morowë n’aura plus à se lever pour m’ouvrir quand j’oublie mes clés, c’est-à-dire tout le temps.

-Yo ! que je lance.

C’est un claquement de porte d’armoire qui me répond. Je fronce un sourcil, avance un peu jusqu’à dépasser le petit pan de mur qui sépare la cuisine de l’entrée. J’aperçois mon colocataire qui a l’air de se prendre la tête pour quelque chose. J’entre dans la cuisine, laisse tomber mon sac par terre près de la table et m’étire.

-Si c’est à cause de la porte, je te l’ai dit ce matin : j’étais pressé comme un oignon.

Il va pas me reprendre la tête à cause de ça, quand même. Et puis, j’aime pas ce regard qu’il me lance à chaque fois que j’arrive. C’est comme si j’étais une bête nuisible. Bon … C’est ce que je suis pour beaucoup de personnes dans cette école, visiblement, mais c’est pas une raison pour me le faire sentir. On me reproche toujours tout. On me reproche de m’amuser, on me reproche de m’ennuyer en cours, on me reproche de me mettre en colère, on me reproche de ne rien faire, on me reproche de prendre trop de place, on me reproche de ne m’impliquer dans rien… Peu importe ce que je fais, il n’y a jamais personne de content. Au lit c’est une autre histoire … Et ça malheureusement, je crois que Morowë le sait, au nombre de fois où il rentre et où je suis occupé avec une jolie demoiselle. Très souvent Abi.

-T’as un drôle de truc qui te pendouille devant le nez …

Je m’approche rapidement de lui, pointe le doigt sur son visage. J’observe l’intrus. Morowë est toujours bien mis, jamais une couette de travers. Ça fait bizarre de le voir avec des cheveux devant les yeux. Je hausse les épaules, recule de quelques pas et lui lance que je vais prendre ma douche, et que ce serait bien s’il faisait cuire du poulet pendant ce temps, que je suis un peu pressé. Il va sûrement le faire : la dernière fois j’ai fait cramer le dîner. Et l’autre d’avant. Et encore l’autre fois d’avant. J’ai interdiction de séjour près de n’importe quel engin qui produit de la chaleur.

Ça fait vachement du bien de se laver. Il faisait une chaleur infernale aujourd’hui en classe. Et puis j’ai eu sports en dernière période. Je me suis défoulé de mon ennui, mais peut-être un peu trop. Je me sens léger maintenant que la sueur coule avec l’eau dans le fond de la douche. Un rapide shampooing et le tour est joué. Un nouveau Rusty, tout beau tout propre. Je sors de la douche, serviette autour du cou et serviette autour de la taille. C’est une autre règle entre nous depuis le début de l’année : je n’ai plus le droit de me balader à poil quand il est là. Mon ancien colocataire ne se plaignait pas. Enfin, pas de ça, mais plutôt de plein d’autres choses.

-T’as fait le poulet, Mo’ ?

J’avais essayé plus qu’une fois d’appeler Mo’ par son prénom. Ça s’était toujours soldé par un ramassis de syllabes douteuses et un regard exaspéré qui se levait au ciel comme pour implorer le Seigneur que je me taise. Résultat, l’intéressé ne me répondait jamais parce qu’il était trop occupé à se demander comment je pouvais être aussi nul. Pour ma défense … euh … Pour ma défense … J’ai peut-être un nom de chien, mais c’est un nom qui se prononce. Facile à retenir en plus. On l’entend une fois et on ne l’oublie pas. Une lueur de fierté traverse mon regard doré. Tout le monde me connaît dans l’école. On connait mon nom et on l’associe immédiatement à mon allure, à mes attitudes, ou à tout ce qui se dit sur moi. J’ai pas demandé à ce qu’on me reconnaisse à l’odeur, à la voix ou au visage. Mais je dois avouer que c’est pas déplaisant. Sauf pour ce qui est de l’odeur. Quand on me reconnaît à l’odeur, c’est parce que je sors d’une séance d’entrainement plutôt musclée. Moi, ce que je reconnais à l’odeur … c’est le poulet auquel Mo’ fait sa fête sur le poêle. Un vrai délice. La viande rouge est meilleure, mais on n’en a plus. Faudrait refaire le plein, je songe. Par réflexe, je m’approche de la cuisine, prêt à grappiller un morceau à peine cuit. Mais un ordre fuse alors que je tends la main.

- Va t’habiller pendant que je mets fin à ses souffrances…

Je déteste recevoir des ordres. Je grommelle, me renfrogne, et murmure au poulet qu’il l’a échappé belle mais que je n’en ai pas terminé avec lui. Tantôt, il va y goûter. En fait, on s’entend que c’est moi qui vais y goûter, parce que je vois mal une cuisse de poulet essayer de me dévorer. Non mais hein ! Un vrai feu roulant de plaisanterie ce Rusty ! Je ricane tout seul en m’éloignant à contrecœur de la cuisine et de la nourriture tant aimée. C’est pas juste … je suis sûr que Mo’ s’en prend des petits morceaux pendant qu’il le fait cuire. Bon … je l’admets … j’ai une tendance à croire que tous mes comportements, je peux les retrouver chez les autres. Si je peux voler des morceaux de nourriture avant l’heure, Mo’ aussi le fait. Kathleen le fait. Andrew le fait… Tout le monde le fait. Qui pourrait résister à ces petits cris et pétillement que fait la nourriture qui cuit dans un petit poêlon ? C’est un appel à être dévoré.

Je m’en vais donc vers la chambre, fâché de devoir me préparer aussi vite. Après tout, j’aurais pu rester en serviette le temps de manger et m’habiller après. Pourquoi tout le monde était toujours pressé à ma place ? C’est moi qui ai un concert ce soir ! Pas Mo’ … Mo’ il sort pas. Mo’ il ramène pas de femelles. Mo’ est un ermite. Pourquoi il est pressé à ma place ? Il a sûrement hâte que je fiche le camp de l’appartement pour pouvoir se replonger en paix dans son roman. Encore quelque chose que je ne comprendrai jamais : comment est-ce qu’on peut aimer ce genre de trucs qui laisse le corps inactif ? Moi j’ai besoin de bouger. Quand on me force à lire un livre pour un cours … c’est une page à la fois. J’ai les pieds qui me démangent après quelques minutes à peine. Je déteste devoir rester assis trop longtemps. Vous vous demandez pourquoi je si je suis prompt à la bagarre entre les cours ? C’est parce qu’après une heure et quart d’inaction totale à faire semblant d’écouter quelqu’un qui raconte des foutaises … faut que je trouve un moyen rapide et extrême de dépenser, qui me gardera assis tranquille pour le cours qui va suivre. Adrénaline + quelques bleus = épuisement = pas de profs sur le dos qui se plaignent de mon hyperactivité chronique. Par contre … je finis toujours par avoir Kathleen sur le dos à cause de ses bagarres. Le mieux, c’est que la plupart du temps, si je me fais prendre en pleine bagarre, je ne vais pas à mon cours : on me colle au bureau du directeur. Et j’ai presque la paix si j’endure un petit sermon.

Je me plante devant mon lit et observe le bordel qui y règne, confus. Abi m’a dit de me faire beau … Sauf que tous mes vêtements sont fripés ou alors ont déjà été portés quelques fois depuis le dernier lavage. J’ouvre les tiroirs de la commode, ouvre la penderie. Je trouve un vieux jean troué. Il fera l’affaire. J’enfile le jean. Et puis… il est beau, il me fait bien et, si je me fies à Abi, c’est « trop chou quand on voit la petite tête de mort de ton boxer par le trou qui est sur ta fesse droite ». Bon. Va pour le jean. Si ça dépendait que de moi, je ne porterais que cela pour aller sur la scène. Mais elle a insisté pour que je porte autre chose que des pantalons pour que je « puisse l’enlever à un moment ou un autre du show et faire crier les petites filles ». Je souris. Abi pense vraiment à tout, même aux détails insignifiants. Je finis par trouver un simple t-shirt noir que j’enfile rapidement avant de retourner dans le couloir pour attaquer les poulets.

- Tu vas rentrer tard ? enfin je sais même pas pourquoi je pose la question… Enfin. Comme la porte ne se ferme plus je préfère savoir au cas où…

Je hausse les épaules. J’en ai aucune idée de l’heure à laquelle je vais revenir. Ça va dépendre du public. Ou plutôt des femelles du public. Soit j’en baise là-bas et je rentre tard, soit j’en ramène ici et je rentre tôt.

-J’pourrais pas t’dire.

Je ne prends pas la peine de m’asseoir à la table et me penche pour attraper la cuisse de poulet, que je commence à grignoter sans être trop concentré. Je regarde Mo’ qui met un peu d’ordre sur le comptoir, comme toujours, avant de s’asseoir pour manger. Je ne comprends pas ça non plus. Moi je suis trop pressé de manger. Je mangerais à même le poêlon. Mais non … les autres il faut toujours qu’ils prennent le temps de tout arranger. Moi je m’en fiche que ce soit le bordel quand je mange. Je m’en fiche que ce soit le bordel tout simplement. La plus belle image, c’est notre chambre. Mon côté est un véritable dépotoir alors qu’à côté, le territoire de Mo’ a l’air d’une église tant que c’est bien tenu. Moi je me décide à ranger quand je commence à voir des insectes se balader dans mes affaires. Les insectes ne me dérangent pas, mais c’est mon seul critère pour le nettoyage. Pas besoin de préciser que ça déplait à monsieur Mo’, qui finit souvent par ranger quand j’ai le dos tourné.

Soudainement, j’allume sur les raisons qui pourraient le pousser à me demander si je rentre tôt ou non. La porte qui ne ferme plus, c’est un prétexte c’est sûr. Avec un clin d’œil, je lui envoie un rude coup de coude dans les côtes.

-T’as prévu de te ramener une femelle et tu veux pas être dérangé, c’est ça ? Tu peux me le dire. Si c’est ça, je vais coucher dans la chambre d’Abi et je te laisse le champ libre pour … Hm ?

Non ça … j’y aurais jamais cru. Mo’ qui se ramène quelqu’un pour faire des saletés dans l’appart. Ce que c’est mignon. Je mords à grande dent dans mon poulet, sourire aux lèvres.

[grosse merde ce post xD si tu veux je change quelque chose xD]

Poulet trop cuit. Goût de caoutchouc. Mais je ne dis rien. À vrai dire, je m’en contrefiche. On pourrait me le servir cru pour ce que ça m’est égal. Tout ce qui compte, c’est que ça me coupe l’appétit. Bon … Avec l’appétit monstre que j’ai, c’est pas une minuscule cuisse de poulet qui va m’enlever ma faim. Ça va la calmer pour quelques instants, mais ça durera pas. Mais je ne dis rien, encore une fois. La dernière fois que j’ai passé un commentaire à Mo’ sur les petites portions qu’il me donnait, il s’est perdu dans un discours sur les poignées d’amour. Je me suis observé dans le miroir pendant des heures pour comprendre le lien entre moi, le poulet et des bourrelets … J’ai toujours pas compris. Mais j’aime pas les discours trop longs. Ni les poignées d’amour d’ailleurs. Ça ou alors il me dit qu’il n’est pas ma bonne à tout faire et que c’est déjà beau que j’en aie un peu, vu tout ce que je mange entre les repas. Je termine mon rikiki poulet en un rien temps, gruge autour de l’os pour récupérer tout ce qu’il y a de gras ou de chair et le balance dans la poubelle.

« Non…Bien sur que non… »

J’arque un sourcil, observe le personnage pendant un moment… Je ne comprendrai jamais les gens qui n’ont pas de désirs physiques … En plus … il me semble que ça lui ferait du bien à ce coincé de Mo’, de se détendre un peu dans les bras d’une fille. Et puis … c’est pas ça qui manque dans cette école, des canons. C’est sûr qu’il y a des thons mais … Je pourrais même lui en recommander quelques unes particulièrement bonnes. Un petit massage, à poil dans l’huile … je crois qu’il apprécierait. Encore faudrait-il que monsieur se détende assez pour l’accepter. Difficile.


« La serrure cassée va me mettre trop sur mes gardes et j’aimerais que mon bras fonctionne un minimum demain, je risque d’en avoir besoin….C’est tout… »

J’éclate de rire. Bruyant. Dérangeant. Non mais … il croit vraiment que je vais gober ça ? Je suis pas né de la dernière pluie …

-Mo’, mon grand …

Je passe un bras fraternel autour de ses épaules.

-Tu nous as regardés un moment ? Les gens savent qui vit dans cette chambre. Tu crois qu’ils ont envie de se frotter à deux mâles aussi costauds que n… moi ?

Bon c’est vrai que Mo’ il est pas particulièrement costaud. Ce serait à s’y méprendre d’ailleurs. Tout petit, tout frêle, tout délicat. Presque une fille, avec un ortifice en moins. Je l’ai déjà pris pour une nana d’ailleurs … de dos. Il a pas apprécié mon approche je crois … et moi non plus que je me suis aperçu de ma méprise. C’était la première fois que je le rencontrais dans le dortoir.

-Écoute, Mo’. Personne va se pointer. Même quand on n’est pas là, personne n’oserait venir ici … La preuve, tu pourrais venir au show avec moi, on se farcirait des minettes dans les coulisses. Accès VIP mon vieux !

Et ça le décoincerait peut-être … Et s’il me lance une remarque sur son bras handicapé qui l’empêche de quoi que ce soit … je lui fous une baffe. Nah mais oh ! c’est pas ça qui va l’empêcher de vivre. Je l’ai déjà vu en action ce mec : il perd rien de sa vigueur à cause de son bras. Et puis c’est pas son bras son handicap : c’est son manque de couilles …