Profiter... [PV Gabe]

Invité

Odeur de pain grillé.
Un rayon de lumière fantomatique qui perce à travers les volets. Les particules qui flottent, dorées, silencieuses. Odeur de pain grillé. Le bourdonnement lointain de la tondeuse du gardien. Le son du carillon à l'entrée de la pièce, très léger, presque silencieux. Un gazouillement d'oiseaux qui se répondent derrière la fenêtre. Et l'odeur de pain grillé.

Ouais. C'était bien le parfum agréable des tartines de pain chaud qui l'avait ramené à la réalité. Déjà sa vision trouble s'accommodait à la quasi-obscurité. Seul le rayon du jour qui venait doucement se poser sur son bras replié éclairait le petit salon. Horreur. Un capharnaüm indescriptible. C'est ce que Noäh aurait du se dire, il en était sûr. Mais il n'était que lui, aussi l'image fugitive du chaos absolu de son appartement n'éveilla pas en lui autant d'intérêt que ce fumet lancinant qui mettait son estomac aux abois.
Il avait dormi sur le canapé, fidèle à sa flemmardise qui l'avait empêché de faire cinq pas de plus pour rejoindre sa chambre la veille au soir. Son menton posé sur l'accoudoir, la mâchoire douloureuse, une main perdue sur le sol, l'autre pliée sur sa tête, bras accoudé au dossier. Il était un peu grand et ses pieds à peine déchaussés dépassaient de l'autre côté. Sa position attestait de la fatigue qui l'avait assailli la nuit dernière ; il s'était tout bonnement effondré. Une couverture posée sur son dos lui fit néanmoins se demander s'il n'avait pas pris le temps de la tirer d'un placard, mais il jugea plus vraisemblable que son colocataire ait eu pitié de lui - ou plutôt de ses pauvres yeux "innocents" face à sa presque nudité.

Enfin, le jeune homme se leva, s'extirpant de sous son drap avec la maladresse d'un ivrogne. Chassant les vêtements éparpillés du bout des pieds, il se fraya un chemin jusqu'au coin de la pièce aménagé en cuisine. Elles étaient là, posées sagement, encore fumantes.

- Hé ! Gaaaabe ? appela Noäh d'une voix rauque.

Son colocataire ne répondit pas. S'il n'était pas là, alors c'est qu'il ne voulait pas de ces tartines. Et s'il n'en voulait pas, quel mal y avait-il à ne pas les laisser refroidir ? Noäh dodelina de la tête comme pour aérer ses pensées. Celles-ci lui dictèrent quoi faire, et il se saisit du repas.
Le ventre bien rempli, quelques pas mal assurés, des grognements agrémentés de coups de pied à l'intention des obstacles innombrables, une douche délicieusement fraiche et de bonnes volées d'insultes envers ses vêtements disparus, et le jeune homme aux cheveux rouges parvint enfin à s'habiller convenablement, retrouvant par la même occasion son humeur naturelle : vive et décontractée. Il n'avait jamais était vraiment présentable au réveil, à moins d'un effort démesuré. Rien à faire. Il ne savait dormir que profondément, sans rêves et sans mouvements, et chaque fois qu'il refaisait surface lui paraissait plus difficile.

"Si au moins ces foutus réveils servaient à quelque chose..."

Cette pensée lui arracha un soupir alors que ses mains, habituées, refermaient un à un les boutons de sa chemise pâle. Le son d'un réveil, il prenait ça comme une agression. Et la seule réaction qui en découlait était tout naturellement une crise de colère envers l'objet avant que le sommeil ne l'emporte à nouveau.
Le puissant "Toccata und Fuge" de Bach retentit soudain dans l'appartement, s'étalant sur plusieurs secondes avant que Noäh ne se décide à décrocher son portable.

- Noäh qu'est-ce que tu fous bordel ? Mais t'as vu l'heure ?!

Un coup d'œil vers sa montre lui apprit que ses manches n'étaient pas encore boutonnées, ce à quoi il s'empressa de remédier.

- Ça va Alex, répondit l'adolescent d'une voix amusée. Je suis en chemin.

La série de jurons qui lui parvint l'aurait choqué si elle ne s'était pas présentée. Gardant l'appareil coincé entre l'épaule et son oreille afin de ne rien manquer de la colère de son capitaine, Noäh ramassa un paquet de biscuits, ses écouteurs et sa tenu de sport qu'il fourra paresseusement dans un sac avant de sortir, abandonnant les lieux dévastés sans même penser à ouvrir les volets.

Alex l'attendait près des terrains, comme à son habitude. Le soleil était déjà haut, et le bitume bouillonnait sous sa morsure. Le capitaine du club était seul, mais lui apprit bien vite que les autres étaient au gymnase. Un autre club s'était montré plus matinal qu'eux, et avait investi le terrain qu'ils pensaient pouvoir occuper. Grimaçant à l'idée de passer le reste de sa matinée dans cette sale puante avec un tel soleil, Noäh l'assura qu'il les rejoindrait plus tard, préférant pratiquer ses échauffements dans une soi-disante intimité. Alex grogna, mais n'insista pas.

~&~

Noäh avala sa dernière gorgée de coca, déposa la bouteille sur le carrelage froid avant de se glisser dans l'eau tiède. Sa chemise, pliée avec soin, reposait près de son jean et du reste de ses vêtements, loin des bassins. Il fallait être fou pour ne pas profiter de la piscine par une telle journée, aussi le jeune homme avait-il été surpris de n'y croiser personne.

"Peut-être trop tôt..." songea-t-il avec tristesse, abandonnant l'idée de tomber sur quelque délicieuse créature à qui il aurait pu faire sa cour.

Sa main passa sur son torse jusqu'à son ventre, suivant le cheminement de ses anciennes blessures encore bien apparentes à travers des marques blanches inégales. Il était vrai que la piscine n'était sans doute pas son meilleur terrain... Se montrer ainsi ne le gênait pas, mais il sentait parfois un regard trop appuyé, une parole lancée dans son dos. Les autres, parfois, ça les gênait.
Un ricanement sonore secoua ses plaies, et il chassa ces pensées d'un revers élégant de la main, plongeant à nouveau pour goûter la fraîcheur agréable de l'eau. Il entreprit de faire quelques longueurs, à présent revigoré. C'était une journée comme les autres, pourquoi s'inquiéter ?

Je rangeai soigneusement mon appareil de photographie dans son boîtier qui reposait sur le sol. M’en départir pour l’espace d’une heure, ou même deux, me chavirait le cœur. Je ressentais une sorte de pincement à l’intérieur de moi, un vide qui se formait dans mon être. Je me sentais nu. Pourtant, j’étais loin de l’être. J’étais affublé d’un t-shirt noir et large ainsi que d’un jeans trop ample pour le maigrichon que je suis, si ample en fait que je dois ceindre ma tailler d’une ceinture serrée. Je tapais des pieds afin de mieux les enfoncer des mes souliers usés. Ensuite, je soupirai. Je soupirai à m’en fendre l’âme.

Kathleen Napesh m’a fortement recommandé d’entreprendre des activités physiques. Je suis maigre, je suis faible, je suis pathétique. Selon elle, si j’avais un peu plus de muscles et de chair sur mes os, j’éviterais peut-être de me casser tous les membres à la suite d’une petite bagarre éclatée avec un certain Rusty Savage, par exemple, ou un grand dadais écervelé. D’ailleurs, je dois suivre un régime spécial qu’elle m’a référé pour endurcir mes os et enrober mon enveloppe charnelle. Jusqu’à présent, il n’y a aucun résultat notable puisque je ne suivais pas ses recommandations, mais comme nul ne peut rien dissimuler à cette incroyable femme, elle a tout découvert et proclamé une terrible menace. Si je ne prenais pas ses conseils au sérieux, elle refuserait de poser pour moi. Or, Kathleen est sans doute l’un de mes plus merveilleux modèles.

Elle est grande, musclée, magnifique. Son corps est découpé de telle façon que l’homme le plus gai éprouverait un désir fou. Chaque petit muscle trace sa démarcation sur cette chair pâle et dure. Quand je capture des images d’elle, elle est souvent en sous-vêtements ou bien nue. Elle détient des courbes féminines prononcées avec ses lourds seins et ses hanches proéminentes. Mais ce n’est pas tout, Kathleen Napesh est photogénique. Les expressions de son visage sont multiples et saisissantes ; les poses qu’elle adopte durant les séances sont nombreuses allant de la provocation à la soumission. J’ai bien beau lui proposer des thèmes, des idées, elle accepte toujours avec une léger sourire en coin. Sourire qui me trouble. Seulement là…

J’ai donc finalement incliné la nuque devant cette dame et je m’apprête à bouger mon corps jusqu’à ruisseler de sueur. La mine sombre, le cœur lourd, je sortis de mon dortoir et me dirigeai péniblement vers les gymnases comme un condamné traîné à l’échafaud. Je ne croisai personne sur mon chemin. C’était aussi bien. Cela me permettait d’espérer que tous les occupants de cet édifice dormaient profondément et que je serais seul durant mes entraînements. Cependant cet espoir se dissipa brusquement lorsque je franchis les portes du premier gymnase. Des filles me lancèrent des coups d’œil curieux, mauvais, circonspects. Je rebroussai chemin rapidement, n’éprouvant point l’urgence de m’exercer devant une telle quantité de femelles sportives plus forte et endurantes que moi. Le second gymnase était occupé par des hommes au torse nu qui s’envoyaient des ballons et des commentaires salaces. Je vis Rusty Savage. Cette vision me suffit à m’enfuir aussitôt, le cœur au bord des lèvres. La salle de musculation était animée par un groupe disparate d’homme et de femmes. Des enseignants pour la plupart.

Non. Merci.

Finalement, il ne me restait que la piscine à vérifier. Si jamais celle-ci était vide, je devrais m’en accommoder et supporter le parfum du chlore imprégné sur ma peau. Toutefois, si elle devait être remplie par l’équipe de natation…J’eus un sourire mauvais. Bon, eh bien, je n’aurais qu’à expliquer à ma chère Kathleen qu’aucun des gymnases n’étaient libres. Je poussai la porte qui se dressait devant moi. La salle était silencieuse et vide, à mon grand désarroi. Je marmonnai dans ma barbe, poussai quelques jurons ampoulés et me traînai jusqu’à l’immense piscine. Je me déshabillai rapidement et me retrouvai en boxer au moment même où une tête rouge jaillit de l’eau à l’improviste.

Je hurlai avec la grâce d’une fillette, reculai avec l’élégance d’une grand-mère, me tordis une cheville avec la maladresse d’un enfant et tombai sur les fesses dans un bruit mât. Puis, je rougis jusqu’à la racine des cheveux en reconnaissant la sirène des eaux de Black Dahlia.

Je fixai, hébété, une tête de Noäh qui éclatait de rire. Celle-ci flottait au-dessus de l’eau. Elle se rattachait à un cou qui était lié à deux épaules larges et puissantes. Sa chevelure flamboyante, imbibée d’eau, collait à son visage et épousait ses courbes à la perfection. Deux prunelles amusées me dévisageaient. Des gouttes d’eau perlaient sur son visage. Son sourire était totalement…irrésistible. Je bougonnai. Ce bougre ne devrait pas avoir ce genre de sourire enjôleur. Il ne devrait pas sourire du tout ! Je pourrais lui appliquer un masque sur le visage afin d’effacer ce sourire envoûtant. De cette façon, peut-être y aurait-il moins de créatures féminines et voluptueuses devant la porte de notre dortoir le matin qui s’égosillent et se trémoussent follement dans tous les sens.

Parlant de filles surexcitées…J’inspectai minutieusement les alentours et fus immédiatement rassuré de ne voir aucune pucelle émoustillée dans les environs. Ce qui est plutôt rare. Malgré tout, mes joues se rosirent davantage à l’instant même où je compris ma position. Assis sur les fesses et vêtu d’un boxer rapiécé, j’avais les deux jambes écartées. Disons que Noäh avait une vue des plus humiliantes. Je me hâtai de croiser les jambes et de ramener vers moi mes vêtements d’une main tremblante.

-No-Noäh…qu’est-ce que tu fiches ici ? Tu…Tu n’avais pas…tu ne devais pas…t’entraîner aujourd’hui ? C’est quoi l’idée de me faire sursauter ? Tu vas à la piscine depuis combien de temps ? …

Invité

La plus grande surprise ne fut pas de voir la silhouette malingre de l'adolescent se trainer pitoyablement jusqu'au bassin. Après tout, l'habitude qu'avait Gab de fouiner un peu partout, appareil photographique à la main, laissait penser qu'il pouvait se retrouver n'importe où n'importe quand, aussi imprévisible que la sangsue du marais dont on ignore sur quelle partie du corps la ventouse se posera la prochaine fois. Non, ce qui l'étonna et lui arracha un franc sourire, c'est le flot de paroles paniquées qui s'échappèrent de ses lèvres et ses mouvements désordonnés qui dévoilaient sans peine son état d'esprit.
En le voyant arriver, Noäh n'avait pas pu s'en empêcher, c'était plus fort que lui ; qui d'autre que Gabriel Ahmon pouvait se vanter de déclencher chez lui, à tout moment, une envie irrésistible de s'amuser. Le jeune homme était si facilement impressionnable, c'en était hilarant. Il s'était donc glissé sous la surface, dissimulé par le rebord surélevé de la piscine pour ne jaillir hors de l'eau que lorsque son "invité" déjà à moiti dénudé ne s'était plus trouvé qu'à quelques centimètres du rebord. A présent, ses coudes reposaient sur le contours carrelé du bassin, et son regard amusé suivaient les mouvements du photographe avec une satisfaction détachée.

- Il fait un peu trop chaud pour s'enfermer dans un gymnase, j'ai préféré venir perdre ma graisse ici, ricana-t-il. Pour les autres questions j'ai le droit à un temps de réflexion ?

Le grand maigre s'était cependant empressé de croiser pudiquement les jambes et d'agripper ses vêtements comme s'il voulait disparaître sous les quelques mètres de tissu. Noäh se gratta le menton dans un geste d'observation appuyé sur ce que son colocataire souhaitait visiblement cacher en premier. Ce blocage effroyable qu'éprouvait Gab pour tout ce qui constituait l'évocation au désir charnel était pour le moins malheureux, poussant le rouquin à secouer la tête d'un air accablé.

- Tu sais, Gab, reprit-il avant que l'autre ait le temps d'entamer de nouvelles questions, si tu ne te décides pas à venir te mouiller les fesses il va falloir que je sorte te tirer par la peau du...

S'attendant à de nouvelles protestations il ajouta rapidement :

- Et puis ce n'est pas comme si tu avais encore quelque chose à me cacher. Il m'arrive de faire un tour dans la salle de bain parfois, sans que tu t'en aperçoives - pour retrouver un vêtement, tu me comprends - et je sais bien que je ne suis pas le seul.

Sur ce, Noäh ricana en s'éloignant du bord sans quitter son colocataire du regard.

- Allez, viens, j'ai suffisamment mangé ce matin. Promis je ne te toucherais pas.

Il n'avait plus qu'à espérer que Gabriel résiste un peu, c'était tellement plus amusant ainsi...

Enfin de retour !!! Je suis désolée, ce message n'est pas très long, mais il me faut un peu de temps pour me remettre dans le bain... Gab, puisse-tu me pardonner de ce retard !

J’ai le cœur qui palpite toujours aussi rapidement, étonné de cette rencontre inattendue. J’applique une main tremblotante sur ma poitrine alors que Noäh me dévisage avec amusement. Vas-y, marre-toi bien, ris bien de moi…Un jour je te ferais payer cette amère humiliation. Je détourne un moment le regard, confus, honteux et agacé. Lui faire payer ? En lui refusant de lui préparer son café et son petit déjeuner qu’il me vole, par ailleurs, régulièrement ? En susurrant à l’oreille des filles que Noäh couvre une MTS des plus virulentes ? Je réprime un léger sourire moqueur, sachant très bien que je n’aurais jamais le courage et la stupidité d’accomplir un tel geste puérile et embarrassant. Et puis, il risque d’en trouver le résultat des plus hilarants. Je fronce les sourcils, maugrée de mauvaise humeur et foudroie Noäh qui, paisible, m’observe toujours. Je me balance sur mes fesses, intimidé tant d’attention.

-Et puis ce n'est pas comme si tu avais encore quelque chose à me cacher. Il m'arrive de faire un tour dans la salle de bain parfois, sans que tu t'en aperçoives - pour retrouver un vêtement, tu me comprends - et je sais bien que je ne suis pas le seul.

Il n’est pas le seul…Qu’est-ce qu’il insinue ? Qu’est-ce qu’il veut dire…? Je me fige immédiatement, le teint probablement livide. Dans mes oreilles, je perçois le battement croissant de mon cœur qui augmente jusqu’à me percer les tympans. Curieusement, je ne m’en préoccupe pas tellement, j’essaie d’analyser correctement le sens de ses propos.

«Il m’arrive de venir faire un tour dans la salle de bain parfois, sans que tu t’en aperçoives…»

C’est…imp-impossible…Mes yeux s’écarquillent de frayeur et je sens mon cœur se débattre violemment sous ma cage thoracique. J’ai l’impression qu’il escompte jaillir de ma gorge et se propulser vers Noäh…pour le blesser ?

« […] quelque chose à me cacher…»

Automatiquement, je referme étroitement mes jambes et mon visage s’empourpre brusquement. Diable, cet obsédé est venu pendant que je…qu’est-ce qu’il a vu…il n’a quand même pas pu…Je le dévisage avec circonspection, remarquant à peine son invitation à le rejoindre, ou plutôt son ordre subtil sous la proposition…J’essaie de me souvenir toutes les fois où je prends ma douche et je me crois seul…je n’ai jamais rien fait de…comment dire…me suis-je déjà…récemment…? Je…Euh…

-…Promis, je ne te toucherai pas.

Je le toise un long moment, incertain et méfiant. Il va sans doute me plonger la tête sous l’eau pour s’amuser un peu…Je plisse les paupières et considère à nouveau la phrase précédente, la trouvant légèrement très…euh…osée…Je toussote pour masquer mon embarras.

-Euuh…vas-y…baigne-toi un peu…Je vais me tremper les pieds pour commencer, que je lui dis en essayant d’adopter un débit lent et une voix assurée.

Contrairement à mes attentes et à mes pénibles efforts, ma voix grimpe dans les aigus et les mots se bousculent sur mes lèvres. Je me traite silencieusement d’imbécile. N oäh, après un ricanement, s’éloigne de son perchoir et semble suivre le moindre de mes faits et gestes. J’hésite de longues minutes avant de me lever, je me contente de tripoter mes vêtements. Je pourrais endosser mon chandail gris, mais il sera tout détrempé lorsque viendra le moment de retourner au dortoir.

Le dortoir…

Je risque un coup d’œil vers la porte de la salle. Fermée. Seule issue de secours. Je pince mes lèvres et, anxieux, je cherche Noäh du regard. Il nage. Il me regarde. Il sourit. Il sourit toujours. Si je me précipite en direction de la liberté, Noäh aura tout l’occasion de me ridiculiser une fois de plus. Si je reste, j’endure ses railleries et ses taquineries…Quelle solution semble la meilleure…Je m’agite un peu…Me redresse lentement. Je me déplace de côté, plongeant mon regard craintif et soumis dans celui de mon colocataire.

-Tu sais…tu dois t’entraîner…j’imagine…Je ne vais pas abuser de temps ou empiéter dans ton territoire…Je vais retourner au dortoir…D’accord… ?

Empiéter dans ton territoire…On pourrait cloner une centaine de Noäh et les jeter dans la piscine, ils pourraient exécuter des longueurs sans jamais heurter l’un de leurs.

Invité

Noäh garda son regard de bronze braqué sur le visage de son colocataire, tout le long que dura ses incertitudes et son monologue hésitant. Ses mouvements avaient lentement perdu de leur ampleur, ne faisant presque plus remuer l'eau autour de lui. Décidément... ce qu'un adolescent totalement coincé pouvait être agaçant. Mais Noäh n'était pas pressé, et la distance du photographe amplifiait en lui ce sentiment d'amusement malsain. Il pensait partager la chambre de Gabe depuis suffisamment longtemps pour que ce dernier ce soit rendu compte que le jeu, c'était son truc.
Après de nouvelles paroles embarrassées, son colocataire se redressa, tenant toujours ses vêtements contre lui en resserrant machinalement ses doigts sur le tissu. Il semblait hésiter à ne pas partir en courant dans l'instant. Noäh sourit de plus belle, reprenant ses brasses lentes le long du bord, sans quitter Gabriel des yeux. Bien sûr, la situation était pour lui des plus comiques, mais le rouquin ne voulait tout de même pas traumatiser son camarade. Ce n'était qu'un jeu après tout. Rien de plus. Un jeu de chasse qui gravait dans le bronze de son regard des reflets d'or dissimulés par instant derrière ses mèches détrempées.

Noäh reprit finalement conscience en sentant le flux d'adrénaline qui parcourait à présent ses veines, et passa furtivement sa langue sur ses lèvres. Il ricana intérieurement en s'adressant quelques paroles rassurantes de celles que l'on réserverait à un chien excité.

"Très amusant mon cher Andrew..." lui susurra pour toute réponse une voix grave et éraillée. "J'espère que tu savais à quoi tu exposais ce garçon avec moi..."

Un nouveau sourire étira légèrement le coin de ses lèvres. Pas encore. Pas tout de suite.
... Et pourquoi pas ?

- Tu sais… tu dois t’entraîner… j’imagine… Je ne vais pas abuser de ton temps ou empiéter sur ton territoire… Je vais retourner au dortoir… D’accord… ?

Noäh ne répondit pas tout d'abord, réfléchissant à cette perspective ; il pouvait très bien laisser Gabriel retourner dans son antre, tout était plutôt calme en ce moment. Et puis, il n'était pas censé lui coller aux pattes en toutes circonstances. Mais le jeu... Ce serait tellement moins amusant qu'il se finisse ainsi.
Le jeune homme soupira finalement en s'approchant du bord. Cela faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas laissé envahir par de telles pensées. Il avait très bien tenu son rôle jusqu'à maintenant. Andrew ne lui en voudrait sans doute pas s'il poussait l'amusement un peu plus loin... juste un peu...
Il lui avait été fidèle, rien à redire de sa conduite. Et puis, il garderait le secret, encore et toujours, il ne le trahirait pas. Ce qu'il voulait n'était pas dangereux...
D'un geste, l'adolescent aux longs cheveux carmin s'extirpa de l'eau, faisant rouler les muscles de son dos sous un peau tendue légèrement frémissante. Des gestes et une démarche bien enfouie au fond de lui menaçaient de le déborder, mais il savait garder pieds. Il savait se maîtriser.

- Ce serait dommage, dit-il d'une voix amusée, en essorant ses longues mèches trempés, tu viens à peine d'arriver, Gabe. Prends donc un peu de bon temps.

Puis il adressa un sourire charmeur à son colocataire, un simple sourire rassurant. Ça, il savait faire. Mettre les gens en confiance c'était son rôle, et un défi qu'il adorait relever. Il avança lentement pour se placer entre Gabriel et la sortie, sans cesser toutefois de lui adresser des paroles apaisantes :

- Tu sais je suis surtout là pour m'amuser, pas vraiment pour m'entraîner. Tu ne veux vraiment pas faire quelques longueurs ?

Il avait presque l'impression de sentir son esprit s'échauffer sous l'excitation du jeu et de l'interdit. Un simple frémissement lui rappela les traitements qu'il risquait si son jeu ne plaisait pas au directeur, mais ses sens un peu trop exacerbés en cet instant l'empêchaient de trop y penser. Quelque chose d'autre avait repris le dessus pour le moment, et ce quelque chose n'avait qu'une idée en tête...

[J'espère que ça te plaira ... Razz

Au fait, pourquoi tu as enlevé ta signature ? :p ]

De longues balafres rosées, courbées et déchiquetées, zèbrent méchamment sa poitrine et disparaissent sous son maillot, mais je m’imagine ses cuisses défigurées, déjà aperçues par le passé. Sa peau cuivrée, d’une couleur de miel, semble capter les reflets lumineux de la salle et les réfléchir avec intensité. La fine mante d’eau froide qui le recouvre entièrement et la lumière soulignent davantage ses muscles et ses formes élancées. Il n’a rien d’un athlète massif et imposant d’une carrure trop impressionnante, mais il possède un corps svelte et agile dont la chair est étirée sous les muscles tendus et flexibles. Ce corps, je ne peux m’empêcher de le détailler, la bouche entrouverte et les yeux luisants d’admiration. Loin de correspondre aux critères sélectifs de l’époque, ces membres allongés, minces et robustes dégageaient une assurance débordante qui plaisent à quiconque dès le premier regard.

Je regrette amèrement de ne pas tenir mon appareil entre les mains, seul et triste dans le dortoir. J’en grince des dents. Cette posture, l’éclat lumineux, l’ambiance…Lui. Tout aurait été merveilleux sur une image. Sur une image, seulement, à vendre idéalement à des filles ou à rembourrer mon porte-foliot. Oui, sur une image. La situation actuelle, trop étrange et irréelle à mes yeux, me noue la gorge. Habituellement, Noäh se contente de taquiner, piquer les gens avec des mots crus parfois blessants, mais rares sont les fois où il m’a manifesté un intérêt trop appuyé comme aujourd’hui. Lorsque je décline une invitation, il hausse les épaules, sourit et se détourner. Aujourd’hui, par contre…il semble différent.

Sa façon de se poster devant la porte, sa façon de me regarder comme si j’étais…Je frissonne. Je jette des coups d’œil affolés dans toutes les directions. Je crispe mes mains sur mes vêtements, faisant craquer le tissu sous mes doigts. Je me sens étourdi et nauséeux.

C’est peut-être un…tu sais…un…il est…c’est possible… ?

Cette réflexion me fait l’effet d’une gifle vite suivie d’une douche froide, glaciale qui me coupe brutalement le souffle. Noäh ? Un…Loup-garou ? Une forte envie de rire me démanche la mâchoire, me comprime le ventre. Je dois faire preuve d’un contrôle surhumain pour maintenait mes éclats. Voyons, soyons logique. Noäh passe ses nuits à dormir, ses journées à participer à des activités sportives, sa vie à courtiser les femmes et le peu qu’il lui reste, il devient un paresseux amorphe. Non. Il a tout d’un être humain. J’en suis certain. D’ailleurs, la discussion avec Miller m’a bouleversé, m’a infligé quelques traumatismes, rien de grave. Cela fait quelque temps que j’épluche de la documentation sur les Lycanthropes. J’en viens à rêver d’étudiants se métamorphosant en loups bestiaux et voraces.

-Tu sais je suis surtout là pour m'amuser, pas vraiment pour m'entraîner. Tu ne veux vraiment pas faire quelques longueurs ?

Il m’adresse un sourire séduisant, rassurant, apaisant, manipulateur. Je me renfrogne. Il utilise ce type d’expression lorsqu’il désire obtenir quelque chose, du moins je l’ai décryptée ainsi. Les filles acquiescent à toutes ses demandes, à toutes ses requêtes. Je crois que c’est le même scénario avec les professeurs. Avec moi…ça fonctionne, à mon grand damne. Et je me demande à toutes les fois où je distingue ce léger retroussement sensuel des lèvres comment il y parvient. Il s’est sans doute pratiqué pendant des heures devant la glace à effectuer un étirement sensationnel de la bouche jusqu’à estimer que ses proies allaient littéralement fondre devant sa beauté.

Mes épaules tendues s’affaissent. Ma mâchoire s’amollit. Mes mains se relâchent, mes jointures blanchies retrouvent peu à peu un semblant de couleur.

-Bon…euh…si tu y tiens autant…

Je risque un regard envieux en direction de la porte, si proche mais pourtant si loin, bloquée par la stature immobile et rigide de mon colocataire. Je l’invite à passer devant moi d’une voix chevrotante, mais il préfère se croiser les bras, me sourire et patienter. Je soupire, attristé par l’échec cuisant de ma tentative de fuite. Il y a bien d’autres issues, mais trop éloignées. Si je me précipitais, Noäh n’aurait aucune difficulté à m’attraper par le poignet et à me propulser dans l’eau.

J’opte donc pour la soumission.

-Mais…euh…quelques minutes, pas longtemps…

Seulement quelques longueurs, ensuite je me retire de la piscine, je m’habille et me carapate en vitesse. Il sera satisfait. Il me laissera partir sans faire d’histoires. À contrecœur, je roule mes vêtements en une boule informe et la laisse choir à mes pieds, dévoilant mon corps rachitique, arachnéen. Un long et terrible frisson me secoue l’échine. J’ignore si c’est à cause de la température de la pièce, que je trouve excessivement froide tout à coup, ou bien la sensation d’une paire d’yeux brûlants plaqués sur ma nuque lorsque je me pivote vers la piscine.

Maladroit, je descends précipitamment l’échelle. Je marche un peu. L’eau chaude m’atteint le haut du torse. Je fléchis les genoux. Puis, je me fige. Je me dandine sur mes pieds, agite mes bras sous l’eau nerveusement. Noäh est toujours dans la même position, l’étrange sourire aux lèvres. Énervé, je claque ma langue contre mon palais et lui dédié un coup d’œil à la fois anxieux et agacé.

-Tu comptes rester debout encore longtemps ou tu as l’intention de venir me rejoindre ? Je ne resterai pas indéfiniment….

Bon, cette phrase aurait été un peu mieux sur un ton provocateur et non sur une nuance d’affolement exaspéré, mais je n’arrive pas à maîtriser les tremblements de ma voix. Peut-être ai-je eu un certain succès avec mon regard ennuyé…peut-être…

Allez…Viens donc, que je puisse déguerpir. Je ferme étroitement les paupières.

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