Salad, Bambi and Singer (Chris)

Chris esquissa un sourire quand Sid lui expliqua que la musique punk avait tendance à réveiller son estomac. Ah ben chacun ses trucs, hein. Personnellement, elle, elle n’avait besoin de rien pour avoir la dalle. Magique, non ? D’ailleurs un gargouillis pas vraiment discret s’invita à la discussion. Non, elle n’avait rien mangé avant de retourner à sa piaule. Sur le moment elle n’avait même pas envisagé que ça lui manquerait étant donné qu’elle avait initialement prévu de pioncer au moins trois bonnes heures, et pas de faire du social.
La jeune fille se leva donc en prenant son élan, prit soin de reposer Philippe à terre – pas envie qu’il reste sur son lit sans surveillance – avec son bâton de réglisse, et se dirigea vers le coin cuisine tout en gardant une oreille sur leur conversation.

«Et c’est quoi ton fameux job? Laisse-moi deviné…Une shop de lingerie? Oh, non, mieux. Pâtissière! Dis-moi si je brûle..?»

Cette fois elle ne pu retenir un rire, bien franc celui-là. Pas de doute, elle avait de l’humour Miss Greenpeace.

« Ah, j’avoue qu’entre la lingerie fine et les gâteaux j’ai longtemps hésité… »

Elle ouvrit la porte du frigo, sa tête disparut à l’intérieur de celui-ci et, après quelques bruits d’entrechoquement de bouteilles, elle en sortit un pack de lait.

« …alors j’ai pris un virage à cent quatre-vingt degrés et je suis allée passer un entretien pour un poste de manucure chez l’esthéticienne du coin… »

Elle se dirigea vers le placard et, cette fois, c’est un paquet de biscuits au chocolat qui apparut. Lait et cookies. Comme les gamins.
Revenant vers le lit – tant pis pour les miettes – elle jeta un regard amusé à Sidney.

« …bizarrement elle a pas voulu me garder. C’est ballot, hein ? »

La jeune fille s’assit en tailleur sur sa couette et entama le paquet sans vergogne, tout en buvant au goulot entre deux bouchées. Après avoir laissé planer un peu de suspens, elle finit d’avaler son gâteau et reprit.

« Bon, j’arrête de raconter des conneries. Je vais bosser comme mécano chez Kuntz, le type qui tient le garage à l’entrée de la ville. Il a une belle tête de salopard mais je suis sure que c’est pas un mauvais bougre dans le fond. Après tout il m’a engagée ! »

Ouais. A contrecœur. Il avait dû ravaler son ego, sa fierté et sa paire de valseuses…mais il l’avait fait. Donc elle ne lui tiendrait pas rigueur d’être un connard machiste roulant des mécaniques.

« Qui sait, je vais peut-être regretter de passer mes journées dans le cambouis plutôt que de vendre des porte-jarretelles…mais je prend le risque. »

Elle ricana, manquant de s’étouffer en avalant une nouvelle gorgée de lait. Puis, prenant un autre cookie, elle tendit ensuite la boîte à Sidney.

« T’en veux un ? Je garantie pas qu’ils soient bio ou issus du commerce équitable, mais par contre ils sont vachement bons. »

Ses préoccupations personnelles s’arrêtaient là. Après elle pouvait comprendre que ce ne soit pas le cas de sa colocataire.

Le petit lutin vert ne fit aucun commentaire sur le job de Chris.
En revanche, elle ne se priva pas d'un certain laïus sur ses cookies. Bien sûr qu'il y avait tout un tas de merdes dedans : elle n'était pas si naïve. Mais entre le tabac, l'alcool, les bagarres, et tout un tas d'autres choses plus ou moins recommandables, la jeune fille était au moins certaine d'une chose : elle ne mourrait pas à cause d'un biscuit, aussi pourri soit-il.
Elle se contenta donc de hocher la tête devant le véhément discours de sa colocataire.
Lorsque Sid enchaîna sur un interrogatoire presque policier, elle eut une seconde d'hésitation. Puis, saisissant la lueur de malice dans son regard, elle comprit qu'elle blaguait plus ou moins. Elle se raidit soudainement, prit un air constipé et une voix atone.

« Soldat Woodworth, 2ème classe. Numéro de matricule 25674421... »

Puis elle éclata de rire.

« J'ai dix-sept ans et toutes mes dents... »

Enfin certaines étaient des fausses, en céramique, mais elles étaient bien à elle. Il avait bien fallu remplacer les perdues...

« ...J'ai pas de matière préférée. Faudrait déjà que les cours m'intéressent un minimum pour ça. »

Judicieuse remarque. Et le fait était que Christina ne portait aucun, mais alors aucun intérêt au système éducatif dans son ensemble. Elle préférait l'apprentissage par empirisme, même si on pouvait s'y casser les dents de temps à autre...sans mauvais jeu de mot.

« Et vas pas me dire que tu connais ton numéro de sécu par coeur ! Ou alors t'es un peu dans le genre de ce type dans Rainman... »

C'était possible après tout. Peut-être que l'écologiste de service était aussi un petit génie avec un QI au-dessus de la moyenne. Cette possibilité l'aurait amusée d'ailleurs. Fallait dire que dans le genre « freak », Sidney n'était pas en reste. C'était peut-être pour ça que Chris ne se sentait pas encore de poussée d'urticaire, malgré le fait d'être en compagnie d'une fille. Finalement elle avait de la chance dans son malheur : ok elle partageait sa chambre avec une nana, mais avec un spécimen tellement proche de l'extra-terrestre qu'elle ne la mettait presque pas mal à l'aise – attention, presque pas.
Elle ne put retenir un nouveau bâillement. Morphée la rattrapait, sûrement furieux de s'être fait poser un lapin. Elle se dit qu'elle avait fait suffisamment d'efforts de socialisation pour la journée, et qu'elle pouvait bien déclarer forfait. Elles auraient tout le temps de se connaître un peu mieux plus tard...

« Bon, c'est pas que tu me saoules, hein, mais je suis trop vannée là, faut vraiment que je dorme un peu. »

La bouteille vidée et le paquet de gâteaux à demi-entamé terminèrent au pied du lit. Elle se laissa tomber sur son lit de tout son long et enfouit sa tête dans l'oreiller. L'adolescente n'eut aucun mal à sombrer dans un profond sommeil, malgré la dose de caféine qu'elle avait absorbé.